Le projet de loi pour protéger la vie privée des enfants sur les réseaux sociaux.
La proposition de loi avait été déposée par les députés Bruno Studer, Aurore Bergé et Eric Poulliat, le 19 janvier 2023. Après un premier refus en commission mixte paritaire le 1er juin 2023, le texte a dû être modifié puis reproposé à l’Assemblée nationale et au Sénat. Le 6 février 2024, l'Assemblée Nationale l'a adopté.
Ce texte vise à protéger plus intensément la vie privée et le droit à l’image des enfants sur les réseaux sociaux, principalement diffusée par les parents eux même. Le texte est modifié pour :
- Introduire la notion de vie privée dans la définition de l’autorité parentale. Il s’agit ici d’intégrer le respect de la vie privée des enfants, y compris le droit à l’image, comme un rôle lié à l’exercice de l’autorité parentale.
- Permettre au juge aux affaires familiales d’interdire à un parent de publier ou de diffuser toute image de son enfant sans l’accord de l’autre parent.
- Inscrire ces deux phrases, exigées par la convention internationale des droits de l’enfant de 1989. « Les parents protègent en commun le droit à l’image de leur enfant mineur. » « Les parents associent l’enfant à l’exercice de son droit à l’image, selon son âge et son degré de maturité ».
- Créer une délégation partielle forcée de l’autorité parentale en cas de diffusion de l’image de l’enfant portant gravement atteinte à sa dignité ou à son intégrité morale. La délégation de l’autorité parentale est le transfert des droits et devoirs d’une personne vis-à-vis de l’enfant. Dans ce cas-là, une autre personne (membre de la famille) ou un organisme spécialisé se verra désigné pour aider et soutenir dans l’éducation de l’enfant.
- Enfin, un dernier article donne à la CNIL (commission national de l’informatique et des libertés), le pouvoir de saisir un juge pour assurer les droits de l’enfant dans le cas où une demande d’effacement de données personnelles ne serait pas prise en compte.
Pourquoi cette proposition de loi ?
La surexposition des enfants sur les réseaux sociaux
Le partage de photos et vidéos des enfants par les parents porte désormais un nom, le « sharenting » (un mot-valise anglais, qui vient de «share» partager et « parenting » parentalité). Et cette action n’est pas anodine.
Un enfant apparaît sur environ 1 300 photographies publiées en ligne avant l'âge de 13 ans.
Au-delà de la simple image des enfants en vacances, pour certains parents, créer du contenu vidéo ou photos sur ses enfants est devenu une technique de « communication » pour développer son compte sur les réseaux sociaux créer le buzz. C’est de cette manière que l’on a pu voir l’arrivée de nombreuses tendances touchant les bébés ou enfants bas-âges mais aussi des canulars parfois intimidants ou traumatisants pour les enfants.
En 2023, l’observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique partage que 53 % des parents français ont déjà partagé sur les réseaux sociaux du contenu sur leurs enfants. Sur son site, la CNIL partage des plaintes reçues régulièrement telle que :
- Une demande de la part d’un mineur de faire retirer des photos, vidéos et enregistrements vocaux initialement diffusés par ses parents
- Des parents, directement, qui n’arrivent pas à stopper la diffusion des photos du baptême de leurs enfants.
Un droit à l’image des enfants pour lutter contre l’utilisation d’images privées.
Le détournement des images.
De nombreuses images publiées sur les réseaux sociaux sont détournées par des personnes malveillantes. Ces photos et vidéos sont récupérées puis diffusées sur des réseaux pornographiques infantiles. 50% des photographies qui s'échangent sur les forums pédopornographiques avaient été initialement publiées par les parents sur leurs propres réseaux sociaux.
Le droit à l’image, une histoire de vie privée
Publier une photo de son enfant c’est prendre le risque que cette photographie soit détournée mais c’est également donner des informations sur la vie privée de l’enfant. Aujourd’hui, les photos prises avec des téléphones et publiées directement sur les réseaux sociaux sont facilement traçables (localisation Gps, heure, date). C’est aussi donner des informations personnelles sur les loisirs, centres d’intérêts et lieux fréquentés. Autant de détails qui peuvent être un danger pour la vie privée de l’enfant.
Enfin, lorsque l’on publie une photographie de son enfant, une vidéo, un vocal ou autre, on lui crée une identité numérique. Ces premières publications deviennent sa première présence sur internet et, bien souvent, elles y restent durant toute sa vie.
À terme, ces images et souvenirs devenus publics sur les réseaux sociaux, sont autant d’éléments qui peuvent porter atteinte à la réputation en ligne de l’enfant, qui, en grandissant peu devenir néfaste pour son développement personnel, scolaire (risque de cyberharcèlement) voire professionnel.
Témoignage d'une avocate
Afin de mieux comprendre ce projet de loi et ses conséquences, nous avons eu l'occasion d'interviewé Nathalie Dival, avocate au Barreau de Paris.
Nathalie a pour activité dominante le droit de la famille, du patrimoine et des personnes. Nous souhaitons avant tout, la remercier pour son temps et sa disposition.
Selon vous, pourquoi avoir sorti cette nouvelle proposition de loi ?
Quels sont les enjeux de cette loi sur les entreprises ?
Les textes actuels permettent déjà d’assurer la protection du droit à l’image des enfants par leurs parents et il existe des sanctions pour les manquements parentaux.
Cependant le rapport de 2022 du défenseur des droits « la vie privée : un droit pour l’enfant », à l’heure où, en effet, il y a une multiplication de l’utilisation de l’image des enfants tant sur le plan privé que sur le plan commercial via les réseaux sociaux, a conduit le législateur à sensibiliser de manière plus précise l’obligation parentale du droit à l’image des mineurs.
De même l’exploitation délictueuse de l’image d’un mineur par des délinquants sexuels est devenue une pratique facilité par la diffusion massive, via les réseaux sociaux, d’images de mineurs.
Dans l’exposé des motifs du projet de loi , on estime que « 50 % des photographies qui s’échangent sur les forums pédopornographiques avaient été initialement publiées par les parents sur leurs réseaux sociaux ».
Qu'en pensez-vous ? Qu'est-ce que cette loi apporte à la législation déjà en vigueur ?
Pour les professionnels du droit, au-delà de la création d’un nouveau cas de délégation de l’exercice de l’autorité parentale quand la diffusion de l’image de l’enfant par ses parents porte gravement atteinte à la dignité ou à l'intégrité morale de celui-ci ( cas qui ne concernera certainement que les images pédopornographiques) et la précision de l’article 226-1 du code pénal, la loi du 19 février 2024 ne comporte que des sanctions civiles.
En effet, « cette loi se veut avant tout une loi de pédagogie avant que d’être une loi répressive ou sanctionnatrice ». c’est ainsi qu’elle est présentée dans la proposition de loi présentée en janvier 2024.
C’est donc plus une loi de rappel que d’innovation profonde de la législation en vigueur, peut être électoraliste également, la protection de l’enfance ayant été présentée comme une « grande cause » du nouveau quinquennat de la présidence.
Dans quel contexte pourra-t-on faire appel à cette loi ? Et qui le pourra ?
A chaque fois qu’il y aura un litige sur l’intérêt de l’enfant à voir son image utilisée. Donc par les parents l’un envers l’autre en cas de désaccord, soit par des tiers s’il y a une atteinte grave à son intégrité ou à sa moralité.
Quels sont pour vous, les grands enjeux de cette loi à soutenir ? Qu'est ce que cela questionne pour vous ?
Comme dit précédemment, cette loi s’inscrit dans le cadre d’un engagement électoral et ne modifie pas en profondeur ce qui existe déjà.
C’est en cela qu’elle peut apparaitre comme un effet de communication.
Ce faisant la France aime le concept de « une idée, une loi ». En annonçant qu’elle ne se veut pas une loi répressive, cette loi se veut donc comme un outil pédagogique.
Donc je ne pense pas que cette loi questionne réellement les professionnels du droit en lien avec le droit des mineurs. Elle ne révolutionne pas la matière.
Que pensez-vous de la communication et de la sensibilisation de cette problématique sur les parents ?
Il est toujours bon de rappeler les limites à tout usage d’un droit. Le droit à l’image est un attribut de la personnalité des gens.
Au-delà de ce qui touche la pédopornographie je ne pense pas que les parents s’estiment plus concernés qu’avant. On a toujours le sentiment d’agir au mieux pour ses enfants.
Encore une fois il existe déjà un arsenal législatif et un mineur qui serait exposé médiatiquement dans un contexte tel que l’on pourrait estimer qu’il est porté atteinte à son intégrité ou à sa moralité, peut être protégé.
Ce faisant c’est toujours bon de faire œuvre de pédagogie afin de rappeler aux parents que la notion d’intérêt de l’enfant n’est pas toujours synonyme de l’intérêt des parents.
Ne devrait-il pas y avoir une spécificité pour les enfants qui ne sont pas en âge de donner leur accord sur la diffusion de leur image ? Si, quelque chose existe, quelle est-elle ?
L’article 372-1 dans sa nouvelle rédaction prévoit « les parents associent l’enfant à l’exercice de son droit à l’image selon son âge et son degré de maturité ». Cette notion d’âge de discernement existe déjà. Pour un enfant qui n’aurait pas la maturité nécessaire pour manifester son consentement ou son refus, la décision appartient tout entière aux parents.
Le contrôle de l’usage de l’image du mineur se fait donc a posteriori. On ne va pas imposer la présence d’un tiers à chaque fois que des parents prennent une décision pour leurs enfants.
Selon vous, est ce que cette loi peut ou va toucher les entreprises ?
Par définition, les entreprises, dont la cible est la parentalité, doivent être vigilants sur la législation concernant les mineurs.
Il parait évident que « l’air du temps » est d’accroitre, autant que possible, la protection des mineurs, dont leur droit à l’image.
Par voie de conséquence il y aura peut-être plus d’acteurs dans le domaine qui seront également attentifs sans compter les tiers comme les membres de la famille, mais la loi n’étant pas répressive, il est difficile de voir comment les quelques mesures plus contraignantes, comme la délégation de l'exercice de l'autorité parentale, pourraient être mises en œuvre dans les cas où il n’y a pas une atteinte grave à la dignité ou à l'intégrité morale.
Comment sont-elles concernées ?
Les entreprises peuvent être concernées lorsque l’enfant est en âge de donner son avis. Je pense qu’il sera, alors, prudent, de faire signer au mineur un formulaire d’information dans lequel l’enfant reconnaît avoir été associé à l’exercice de son droit à l’image.