Qu’est ce que l’on attend d’un moteur de recherche ?
De la performance ? De la pertinence ? Les résultats retournés doivent répondre à ma question, rapidement. C’est en se basant sur ces critères que nous devrions choisir un moteur de recherche.
S’il répond exactement à ma question, c’est bien. S’il est plus rapide, c’est encore mieux.
Maintenant, considérons les moteurs de recherche comme des produits. La performance ou la pertinence sont donc des critères d’achats. C’est ces critères que l’on mettra en avant dans des publicités. Seulement, un des moteurs de recherche a décidé de parler d’un tout autre sujet : les données personnelles.
Cette année, DuckDuckGo a décidé de lancer sa campagne publicitaire sous le prism des données personnelles. Ces données qui font débat depuis quelques temps. Alors pourquoi ? Quel est le soucis soulevé par DuckDuckGo ?
Acte 1. Les données personnelles et nos moteurs de recherche.
Dans la course à la première place dans le cœur des internautes, les moteurs de recherche ont dû trouver de nouveaux moyens pour répondre à nos questions. Pendant un temps, ce fût la course à celui qui aurait le plus grand répertoire, le mieux indexé, le mieux organisé.
Combien de temps pour cuire un œuf dur ? « temps »... « cuire »... « œuf dur »... C’est bon ! On a un site qui contient tout ça, voilà !
Tout le monde avait la même réponse aux mêmes questions. Puis il a fallut quelque chose en plus. Il ne suffisait plus de donner la meilleure réponse à la question, mais de donner la meilleure réponse pour l’internaute. C’est la personnalisation.
Pour cela, le moteur de recherche doit savoir qui vous êtes, ce que vous aimez ou non, ce qui vous fait rire, pleurer, quelles sont vos habitudes de consommation et vos sites préférés. On ne privilégie pas ce qu’ils vous faut, mais ce que vous préférez. Concrètement, plus vous visitez un site, plus vous le verrez en top de vos résultats. En premier lieu, nous pouvons trouver cela arrangeant d’avoir les sites que nous préférons, que nous avons l’habitude de visiter. Mais cela peut poser le problème d’objectivité de la recherche. Et finalement, biaiser notre pensée.
C’est le biais de confirmation, dans sa forme la plus simple : on privilégie les informations qui confirment nos idées pré-conçues.
Protéger ses données personnelles permettrait donc d’avoir des résultats plus objectifs à nos questions. Mais qu’en est-il des autres utilisations des données personnelles ?
Acte 2. Nos données personnelles et notre vie privée.
Est-ce important pour moi de naviguer sans être reconnu, sans laisser de traces ? Que Facebook, Google ou Amazon sache que je cherche une lampe de chevet, que je préfère le snowboard au ski ou encore que la réduction des déchets est devenu un sujet important dans ma vie ?
On peut se dire "Vous n’avez rien à craindre, si vous n’avez rien à cacher". Argument souvent avancé par les partisans de l’analyse de données personnelles. Par exemple, Eric Schmidt, ancien PDG de Google : "Je pense qu’il faut faire preuve de jugeote. S’il y a quelque chose que vous faites et que personne ne doit savoir, peut-être qu’il faudrait ne pas le faire en premier lieu."
Alors pourquoi mettre des rideaux à nos fenêtres ? Nous ne faisons rien d’illégal chez nous (du moins je l’espère pour la majorité des lecteurs et lectrices de cet article) pourtant nous voulons avoir notre sphère privée. Pourquoi il devrait en être autrement sur internet ? Il est intéressant de rappeler qu'en 2005, Google a décidé de blacklister le site CNET des résultats de ses pages à la suite de la publication d'un article révélant des informations privées sur Eric Schmidt. Toutes ses informations avaient toutes été trouvées par des recherches...Google !
Pour le philosophe et psychanalyse Emilio Mordini, il n’est pas uniquement question de "vouloir cacher" mais plus "d’avoir le pouvoir de cacher quelque chose". Notre indépendance réside dans le fait de pouvoir maîtriser, choisir.
Un exemple de l'utilisation des données personnelles :
Traduction : "Vous recevez cette publicité parce que vous êtes nouvellement instructeur.rice de pilates et vous êtes fan des cartoons. Cette publicité utilise votre géolocalisation pour savoir que vous êtes à La Jolla. Vous regardez des blogs sur la parentalité et vous vous intéressez à l'adoption par les personnes LGBTQ.
En 2021, l'application de messagerie sécurisée, Signal, décide de retourner les publicités Instagram contre elles. Cette campagne, basé sur l'hyperpersonnalisation des publicités, montre aux internautes jusqu'où peut aller la collecte de données de navigation.
Seulement, cette pub n'aurait pas été du goût de Facebook qui aurait décidé de suspendre la campagne et de bloquer le compte d'administration de Signal. Facebook (maintenant Méta), maison mère d'instagram, a démenti les faits, expliquant que Signal "n'a même jamais essayé de diffuser ces publicités". Un article sur le blog de Signal est consacré à cette affaire : "The Instagram ads Facebook won't show you", "la publicité Instagram que Facebook ne vous montre pas".
D'autres exemples :
Maintenant, un autre constat se pose : protéger sa vie privée, c’est protéger la vie privée des autres.
Acte 3. Nos données personnelles et celles des autres.
Comme le présente Médiapart: ce qui est le plus intéressant, ce n’est pas le contenu de nos messages, de nos recherches ou de nos commandes vocales mais avec qui nous sommes en contact, avec qui nous interagissons. En prenant un selfie dans la rue, vous pouvez aussi prendre les personnes qui sont dans le champ de vision de l’appareil photo. Reliez cette donnée au GPS de votre smartphone et vous pourrez savoir qui était où, à quel moment, sans que les personnes ne le savent.
Bien sûr, cela est un raisonnement parmi tant d’autres. Certains le percevront comme extrémiste, trop poussé mais c’est un fait possible. Les algorithmes sont de plus en plus performant et nous sommes les seuls à décider de la puissance et de la portée qu’ils auront. Dans un monde où les données récoltées seraient sécurisées et parfaitement contrôlées, ce raisonnement n’aurait pas lieu d’être. Mais quand on s’intéresse un peu à l’informatique et à la cybersécurité, nous savons qu’il y aura toujours une faille exploitable, qu’il y aura toujours une négligence et qu’une fuite de données personnelles sera toujours possible. Qu'un jour, une personne pourra tirer les rideaux de votre appartement ou votre maison, sans vous avertir. A l’heure du « tout connecté », il me semble important d’avoir conscience de ces problématiques pour maîtriser au mieux les données que nous divulguons et à qui.
Pour aller plus loin :
- Documentaire Nothing to hide : documentaire collaboratif écrit et réalisé par les journalistes Mihaela Gladovic et Marc Meillassoux. Le film est dédié à la question fondamentale et encore jamais posée de la surveillance de masse : son acceptation dans la population.
- Disparaître : sous les radars des algorithmes | ARTE : Comment protéger ses activités numériques de la surveillance et de la malveillance ? Un panorama didactique des solutions alternatives à la portée de tous.